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[CONVERSATION] Yann Brun, conseiller sûreté pour l’archéologie et les archives au sein du ministère de la Culture

Dans le cadre d’articles dédiés à des échanges avec des professionnels du monde de l’Art concernant la lutte contre le trafic de biens culturels, Art’théna Investigations est ravie de pouvoir recueillir les propos de Yann Brun, conseiller sûreté pour l’archéologie et les archives au sein du ministère de la Culture.

Art’théna Investigations (AI) : Bonjour Yann, pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours ?

Yann Brun (YB) : Bonjour, je suis le conseiller sureté pour l’archéologie et les archives à la Mission sécurité, sureté et audit du ministère de la Culture. Avec mes trois collègues commandants de police, notre rôle consiste à assurer la prévention et la lutte contre les actes de malveillance dans les établissements et lieux culturels (vols, dégradations, menaces terroristes, etc.), les pillages archéologiques et le trafic illicite des biens culturels. Dans ce cadre, nous sommes les officiers de liaison et référents de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC).

Pour partir du début, j’ai commencé au Musée d’Orsay dans la surveillance des œuvres et la sécurité des publics, et j’ai gravi les échelons, pendant 20 ans. D’abord, j’ai débuté comme agent d’accueil et de surveillance dans les salles d’expositions permanentes, puis agent-chef, responsable d’équipes, adjoint technique puis technicien des services culturels, responsable des équipes de surveillance des expositions temporaires, des vestiaires et du suivi des agents de sécurité privée en charge de la sécurité de la zone d’accueil et des entrées du musée, en passant par Chargé du développement et de l’archivage numérique du département Accueil et Surveillance, Concepteur d’applications de management sûreté et RH, formateur interne en informatique et en sureté. Pendant toutes ces années, j’ai pu rencontrer beaucoup de personnes gravitant autour du milieu culturel et une multitude de profils dans la sûreté et la sécurité.

En 2011, j’ai passé le concours d’Ingénieur des Services culturels et du Patrimoine et j’ai intégré le poste que j’occupe actuellement. C’était une création de poste au sein du ministère de la Culture. Le pillage d’un chantier de fouilles à Noyon en 2010 a révélé l’ampleur du fléau des atteintes au patrimoine archéologiques et fait naître certaines préoccupations sur la protection du patrimoine, le ministre de l’époque a donc demandé un rapport de préconisations au Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) et la création de ce poste en faisait partie. Venant du domaine muséal à l’origine, je me suis retrouvé à la fois dans deux mondes différents : l’archéologie et les archives. J’ai dû repartir de zéro, mais étant le premier à occuper ce poste, j’ai pu apporter un œil neuf et mettre en place ma vision des choses, tout en m’appuyant sur mes collègues commandants de police, notamment Guy Tubiana, conseiller sûreté des musées de France.

Grâce à la sécurité et à la sureté, j’ai pu amener ces connaissances et compétences également, comme mettre en place des protocoles, des procédures, être réactif face à un incident, etc. J’ai publié le premier guide sur « la sûreté du patrimoine archivistique » en 2014 et dû mettre en place dès 2012, avec l’archéologue Bertrand Triboulot, un guide spécifique « lutter contre le pillage archéologique » qui n’existait pas, mais aussi des formations et beaucoup de sensibilisation. Il fallait apporter aux acteurs des institutions, aux personnels de surveillance et de sécurité, aux archivistes, aux archéologues, aux conservateurs, aux forces de sécurité (police, gendarmerie, douane) et aux autorités judiciaires des réponses à leurs questions concernant la procédure à suivre lors d’un vol, d’une dégradation ou d’une destruction d’archives ou d’objets archéologiques ; mais surtout en cas de fouille archéologique illicite et de pillages de patrimoine archéologique et faire en sorte qu’ils aient un interlocuteur référent au sein du ministère pour les aiguiller sur les démarches à suivre.

AI : Vous participez au nom du ministère de la Culture à la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, notamment sur le plan de la sensibilisation auprès des acteurs et des institutions. Quels sont les obstacles auxquels vous faites le plus souvent face lors de vos sensibilisations ?

YB : Avant 2010, on formait essentiellement les personnels dans les musées et les monuments historiques, et un peu sur les vols d’archives. Il y avait certaines circulaires, notamment suite à des vols dans des services d’archives à la fin des années 1990. En 2012, j’ai donc créé à l’INP (Institut National du Patrimoine) une formation sur « la sûreté au sein des locaux d’archives » ainsi que sur « la lutte contre le pillage archéologique », avec Bertrand Triboulot, mais également au ministère une formation annuelle sur ces questions. J’interviens aussi régulièrement auprès des universités dans des master 2 de droit du patrimoine culturel, droit archéologique, management des organisations culturelles ou DU de recherche et provenance.

Il a fallu également mettre en place les réseaux entre ministères, police, gendarmerie, marché de l’art, justice, douanes, etc. Avant, tout le monde faisait un peu comme il pouvait dans son coin sans réel partage de l’information et collaboration. La clé de lecture qui a permis de rassembler toutes ces personnes a été le tableau des infractions avec les codes NATINF (code de la nature des infractions) que j’ai créé en 2012. Ce tableau recense toutes les infractions liées au trafic de biens culturels inscrites dans les différents codes (code du patrimoine, code pénal, code des douanes, etc.). La problématique que j’ai rencontré rapidement c’est le manque de compréhension des différents domaines concernant la question du trafic illicite de biens culturels, et le fait que certaines procédures sont littéralement différentes. Par exemple, lors d’un contrôle douanier, la personne contrôlée doit démontrer qu’elle détient ses objets de façon licite, car sinon sa détention est présumée illicite. C’est un inversement de la charge de la preuve. Lors d’une enquête de police, c’est au policier d’apporter les preuves d’un trafic ou d’une détention illégale. J’ai donc rassemblé les différents jargons pour obtenir un langage commun entre les services et les acteurs.  

Lors des actions de sensibilisation et de formation, il faut essayer de faire comprendre que travailler avec les différents services est indispensable. Il faut donc inclure chaque domaine, chaque spécificité, chaque procédure, chaque représentant pour que les réseaux et la communication entre chacun se fasse de façon fluide.

Etant un ingénieur sécurité-sûreté du ministère de la Culture et expert en protection des entreprises et en intelligence économique, je ne suis donc ni policier, ni gendarme, ni douanier, ni magistrat. Mais pourtant je dois former ou sensibiliser ces corps de métier. On aurait pu penser que ce soit un désavantage car la question de la légitimité à former ces personnes aurait pu se poser, mais en réalité c’est un avantage car je reste externe à chacun, avec une vision transversale et de collaboration interservices, sans donner un sentiment de privilégier un éventuel corps d’appartenance. Je suis donc parfaitement reconnu comme expert du ministère de la Culture dans la sûreté et la prévention du trafic illicite des biens culturels, ce qui me permet de travailler efficacement avec les différents partenaires.

Enfin, à l’époque, les services judiciaires traitaient très peu du pillage archéologique national, sauf concernant le pillage des biens culturels maritimes, grâce aux actions des équipes du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) et de son ancien directeur, Michel L’Hour. Il a fallu démontrer que le pillage archéologique terrestre, même de grande ampleur, existait aussi en France. La première affaire qui a « officialisé » réellement le pillage en France est celle du viticulteur pilleur de Seine et Marne, interpellé en février 2012. Ce producteur de champagne avait été arrêté lors d’un contrôle douanier, par la brigade de surveillance interne de la douane de Melun en collaboration avec le Groupe d’intervention régional de Seine et Marne, en possession de 112 pièces de monnaie. La visite domiciliaire (perquisition) à son domicile avait permis de mettre la main sur environ 2 300 objets pillés en Seine et Marne, dans l’Aude et dans la Marne. Pour juger cette affaire, il a fallu s’entourer d’experts, comme des archéologues, de magistrats, d’avocats, etc. Le viticulteur a été condamné à Meaux le 8 août 2014 à 197 235 euros d’amende et 6 mois de prison avec sursis ainsi qu’à la confiscation des 2 300 objets saisis, dévolus ensuite à l’Etat, c’était une première. Le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 15 juin 2016 et le 22 novembre 2017 la Cour de cassation de Paris a déclaré les pourvois du viticulteur pilleur non-admis.

AI : Le ministère de la Culture fait partie des acteurs luttant contre le trafic illicite de biens culturels via différentes actions et prises de décisions, quelles sont les grandes mesures prises qui ont permis de faire avancer cette lutte d’après vous ?

YB : Beaucoup des actions mises en place sont nées suite à des affaires ou des évènements particuliers, comme souvent.

On a donc vers les années 2010 une volonté de protéger et sécuriser davantage les chantiers de fouilles pour éviter qu’ils ne soient pillés, en mettant par exemple du gardiennage avec des agents de sécurité privée ou des agents cynophiles. Puis à partir de 2012, on commence alors à former et sensibiliser les acteurs.

En 2015, ont eu lieu les attentats. Ces évènements ont bien entendu fait naître de grandes mesures de sécurité, notamment un renforcement des plans Vigipirate au sein des établissements culturels, et les recommandations sont devenues des obligations. Mais le milieu culturel étant un milieu prônant l’ouverture au public et la facilité d’accès, la mise en place de mesures de sécurité n’est pas forcément si simple. Il faut allier sûreté, sécurité des personnes et protection des collections avec le confort des visiteurs et lecteurs, tout en assurant la sécurité globale de tous en cas d’incidents. Pour les œuvres, il est indispensable de disposer d’un plan de sauvegarde des biens culturels. D’où l’importance de s’appuyer sur l’ensemble des acteurs de la sécurité, publique ou privée, dans le respect des compétences et des spécificités de chacun. Cela va des forces de sécurité de l’État (police, gendarmerie, douane, pompiers…), aux personnels fonctionnaires et agents de services publics en charge de la protection, la surveillance et la sécurité des collections et des publics mais aussi aux acteurs de la sécurité privée (agents de gardiennage ou de surveillance humaine, de télésurveillance, agents cynophiles, etc.).

L’affaire du viticulteur pilleur en 2012 a pu marquer le début des jurisprudences dans le domaine du pillage archéologique terrestre en France, ce qui a lancé la prise de conscience concernant la résolution de ces affaires sur le plan judiciaire afin de préserver les territoires et le patrimoine, plutôt que de laisser faire. De nombreuses actions judiciaires, que j’accompagne, sont menées depuis 2011 par les services régionaux de l’archéologie avec les services d’enquête (police, gendarmerie, OCBC, douane, DNRED, SEJF) et les magistrats afin de stopper les pilleurs, les fouilles archéologiques sans autorisation, avec ou sans détecteurs de métaux, et le trafic illicite des biens archéologiques. Ainsi, plus de 50 000 objets ont été saisis en PACA en 5 ans, pour une valeur estimée à plus de 3 millions d’euros. D’ailleurs régulièrement, la presse fait état d’interpellations ou de condamnations de pilleurs. Citons, celle de la saisie par la douane en août 2020 de plus de 27 400 objets archéologiques d’une valeur de plus de 772 000 euros chez un pilleur français de l’Est de la France.

Le pillage en France n’est pas anodin et la détection archéologique illicite n’est pas un loisir. C’est pourquoi le ministère de la Culture a signé avec la gendarmerie nationale le 20 juillet 2022 une convention pour renforcer la protection du patrimoine archéologique sur l’ensemble du territoire. Dans ce cadre, plus de 75 gendarmes référents de la région PACA ont été formés en septembre 2022 par le Service régional de l’archéologie de PACA, et en février 2023, les gendarmes du Finistère ont interpellé un homme soupçonné d’avoir pillé plusieurs sites archéologiques dans le département à l’aide de détecteur de métaux. Chez ce particulier, les enquêteurs ont retrouvé de nombreux bronzes datant de 800 à 900 ans avant J-C, une pièce gauloise d’une valeur de plusieurs milliers d’euros ainsi que des poignards, des bracelets ou de la monnaie militaire et de commerce. Rappelons que les atteintes au patrimoine archéologique peuvent être punis jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et à des amendes jusqu’à dix fois la valeur de l’objet, avec la confiscation des biens archéologiques saisis ainsi que de la chose qui a servi à commettre l’infraction (pelles, pioches et détecteurs de métaux).

Les pillages et destructions par Daesh au Moyen-Orient ont bien entendu fait bouger les choses parce que le grand public s’est rendu compte que le pillage archéologique pouvait financer le terrorisme, et ce partout dans le monde.

Toutes les affaires ont aussi fait avancer les choses. Dernièrement, les interrogations soulevées à l’occasion de certaines acquisitions du Louvre Abu Dhabi ont mis l’accent sur les risques encourus par les musées tout au long de leurs processus d’acquisition. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a d’ailleurs pris l’initiative de confier, en juin 2022, une mission à trois personnalités expérimentées du monde des musées et du marché de l’art – Christian Giacomotto, Marie-Christine Labourdette et Arnaud Oseredczuk – afin d’améliorer la sécurité des acquisitions des musées nationaux. Le rapport a été transmis à la ministre le 22 novembre 2022 en faisant la liste d’une quarantaine de préconisations concernant la recherche de provenance, mais aussi sur la formation au niveau universitaire, ou encore la mise en place de diligences opérationnelles appropriées à effectuer concernant les acquisitions. 

AI : On parle souvent des « biens orphelins », ces biens issus directement de lieux archéologiques et qui n’ont donc jamais fait l’objet d’inventaire ou de récolement, ce qui les rend particulièrement difficiles à identifier sur le marché. Pensez-vous qu’il est possible de mettre des solutions en place afin d’endiguer le trafic archéologique ?

YB : Ce qui est compliqué c’est que le marché du trafic illicite des biens culturels va tout faire pour se mêler à ce marché légal, en masquant par exemple la provenance des objets, et ce concernant tous les types d’objets. On ne peut pas débarquer dans toutes les galeries et saisir tous les objets archéologiques, ou toutes les monnaies sur de simples présomptions qu’ils ont, peut-être, été obtenus suite à un pillage. Le marché de l’art est constitué de professionnels qui appliquent leurs obligations de diligences requises, ce qui permet de limiter grandement les risques de trafic mais malheureusement comme dans tous les secteurs, il peut exister des personnes véreuses, des escrocs, des receleurs, des criminels et des trafiquants. C’est pourquoi il faut une enquête minutieuse sur chaque objet, et chaque objet doit présenter des éléments sérieux pour diligenter une procédure. Pour permettre une enquête, il faut un élément légal, matériel et intentionnel. Sans les trois, les poursuites sont vouées à l’échec. Et c’est la difficulté avec les biens archéologiques. Certains biens sont orphelins, puisqu’ils ne sont connus que lorsqu’ils sont découverts ou sortis du sol ou des eaux.

Lorsqu’il y a une déclaration de découverte ou de fouilles autorisées, nous sommes informés mais lorsque les découvertes sont effectuées par des pilleurs, nous n’en avons forcément pas connaissance. Il est donc plus compliqué de matérialiser le vol, par exemple, puisque sans cette information, même le propriétaire foncier du terrain ne sait pas qu’il y avait des objets archéologiques dans son terrain, et ne peut donc déposer plainte pour vol. Sans l’information du lieu de la découverte il est difficile d’avérer la propriété de l’objet et donc le propriétaire. La loi du 7 juillet 2016 relative à la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) a permis la mise en place de textes visant à mieux réprimer ces agissements de pillage, notamment en modifiant le régime de propriété du patrimoine archéologique mobilier, qui lorsqu’il a été mis au jour sur un terrain dont la propriété a été acquise après la promulgation de la loi LCAP, ces biens sont présumés appartenir à l’État.

La sensibilisation sur les procédures d’acquisition est très importante aussi. Il faut que les institutions et les acteurs du marché de l’art accordent une attention particulière lorsqu’ils ont un bien archéologique en main. C’est aussi le but du rapport « Labourdette, Giacomotto et Oseredczuk » cité précédemment. Mais il faut aussi que les moyens derrière suivent, pour que le marché légal n’en pâtisse pas, pour que les préconisations soient suivies, et pour que tout le monde s’y retrouve, bien entendu. Dans tous les cas, la sensibilisation est essentielle ainsi que la protection des sites et chantiers archéologiques. Réprimander et dire que les manières de faire sont mauvaises ce n’est pas suffisant ni pertinent, il faut former aux nouvelles méthodes les acteurs, et leur donner les moyens pour cela. D’où l’importance de disposer et d’utiliser des outils innovants permettant le marquage des objets issus de sites ou de fouilles archéologiques, la traçabilité et l’identification de ces objets, tels que les produits de marquages codés ou les applications de lutte contre le trafic des biens culturels (par exemple, le projet européen NOSE ou l’application Arte-Fact).

AI : Au niveau du cadre réglementaire et légal, quels sont les obstacles auxquels nous nous heurtons et qui nous empêchent d’accéder à des accords internationaux afin de permettre un marché plus transparent et encadré d’après-vous ?

YB :  La Direction générale de la douane et des droits indirects (DGDDI), Tracfin et tout récemment le Groupe d’action financière (GAFI), dans un rapport publié en février 2023 sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le marché de l’art et des antiquités, ont indiqué que le marché de l’art est un secteur pouvant faciliter les opérations de blanchiment et de fraudes fiscales, à cause d’une culture de la discrétion concernant l’identité des acheteurs et des vendeurs, une forte composante internationale, une identification des objets particulièrement délicate, une valeur des objets négociables et subjectifs, des sommes en jeu parfois considérables, un transport facile des biens culturels et une forte concurrence entre les acteurs. Ce qui en fait une cible privilégiée pour les trafiquants et les organisations criminelles.

Pour instaurer un cadre légal qui est efficace et qui fonctionne, il faut que tout le monde s’y retrouve, et ce n’est pas évident. D’ailleurs, il est important de préciser que la lutte au niveau internationale contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme est en train de durcir les législations des Etats. Mais appuyer que sur la répression n’est pas forcément la solution. Il faut être capable de trouver un compromis entre des mesures permettant d’atténuer les vulnérabilités identifiées, avec notamment des obligations en matière de conformité, de contrôle, de sécurisation de la chaine des acquisitions et de la provenance des biens culturels, en particulier les objets archéologiques ; et des mesures garantissant l’attractivité et la fluidité du marché de l’art, dans un climat de confiance et de collaboration entre tous les acteurs.  C’est important que ces questions soient saisies au niveau Européen, cela permet d’homogénéiser. Par exemple, la convention du 14 novembre 1970 de l’UNESCO, concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, met un point de contrôle sur les exportations de biens culturels, mais un certain nombre d’États parties à la convention n’avaient pas mis en place le contrôle de l’importation. Désormais, les États membres de l’Union européenne ont jusqu’à 2025 pour mettre un système pour contrôler les importations. L’évolution légale et réglementaire, nationale, européenne et internationale est notable, et ce depuis des années.

AI : Nous savons que la guerre en Ukraine a favorisé le pillage et la destruction de sites archéologiques et culturels. Nous savons également, suite au Printemps Arabe par exemple, que les lieux subissant des crises voient souvent leur patrimoine pillé et vendu au marché noir. Pensez-vous qu’il est important de mettre en place dès à présent de la sensibilisation et un contrôle important des biens culturels provenant d’Ukraine ?

YB : Selon l’UNESCO, il y a d’ores et déjà du pillage et des vols malheureusement en Ukraine. Cependant, on essaye d’être au mieux dans le préventif, en sensibilisant et en mettant en place des outils permettant d’identifier de potentiels biens provenant d’Ukraine, comme la liste Rouge des biens d’Ukraine par l’ICOM, qui a été publiée en novembre dernier. Dans tous les cas c’est important de se saisir de cette problématique dès maintenant afin d’éviter que des biens sortis illicitement du territoire intègrent le marché de l’art. Il faut surement s’attendre à une présence accrue de ce type de biens d’ici deux ou trois ans, car c’est ce qu’on a pu observer pour d’autres zones géographiques ayant subi des guerres ou des crises. L’important c’est d’être sensibilisé et de lutter tous ensemble contre ce fléau.

AI : Vous avez co-organisé, avec Vincent Michel et Xavier Delestre, un colloque intitulé « Agir ensemble contre le pillage archéologique et le trafic illicite des antiquités », à Marseille, le 12 et 13 octobre 2022. Qu’en avez-vous tiré de cette journée ?

YB : Ce colloque avait pour but d’être tout public. On ne voulait pas être « qu’entre nous », avec ceux qui défendent et parlent déjà beaucoup de la lutte contre le trafic et le pillage. On voulait que tous les domaines concernés par ces problématiques soient représentés et je pense que l’on a bien réussi ce pari. Nous avons eu des professionnels du droit, des forces de l’ordre, de l’administration, du marché de l’art, etc. Et c’est ce qui est important pour nous car tous les acteurs doivent vouloir participer à cette lutte.

On voulait également que tout le monde puisse échanger et discuter. La volonté était que des liens professionnels puissent se tisser. Le fait de faire un colloque sur 2 jours permet d’avoir plusieurs occasions de rencontrer les intervenants.

Le fait d’avoir publié sur Youtube les replays a bien fonctionné aussi. Nous avons également pu avoir un numéro hors-série entièrement dédié à ces questions dans la revue Archéologia, et qui recense un peu tous les thèmes abordés lors du colloque.

Ce colloque était aussi l’occasion de faire un bilan de ces dix dernières années concernant le la lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Nous sommes fiers de constater que le monde muséal s’est saisi de cette problématique, notamment via différentes expositions (plus d’informations ici[1]).

La sensibilisation du grand public, en particulier le jeune public, est primordiale si l’on veut préserver le patrimoine culturel. C’est pourquoi le secteur éducatif a également toute sa place. En complément des cursus universitaires existants, le projet européen PITCHER (2021-2024) – Prévention du trafic illicite du patrimoine culturel – œuvre pour mettre en pratique la stratégie de sensibilisation du public scolaire face à ce problème clé du trafic et du pillage des biens culturels, en apportant aux enseignants et aux médiateurs des connaissances théoriques et pratiques sur le pillage et le trafic des antiquités ainsi qu’en rendant disponibles en ligne des ressources éducatives ouvertes.

AI : Pour conclure, quel message souhaiteriez-vous faire passer aux jeunes qui souhaiteraient prendre part à cette lutte contre le trafic illicite de biens culturels ?

YB : Je commencerai par dire quelque chose de simple, qui est de croire en ses ambitions, et en soi. Il faut se donner les moyens et surtout essayer dans tous les cas. Ce n’est pas parce qu’on n’obtient pas ce que l’on souhaitait qu’on ne gagne pas en expérience, au contraire. Les métiers dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels commencent à se développer. Il faut garder à l’esprit qu’il y aura de plus en plus de besoins et d’exigences en termes de diligences requises dans le monde de l’art et donc d’offres de postes avec la création de nouveaux métiers, notamment dans le contrôle de conformité, la traçabilité et la recherche de provenance.

Ce qui est important, c’est la volonté et les principes que l’on souhaite suivre, et qui doivent donc être une priorité dans notre façon de travailler pour plus tard. Il ne faut pas hésiter à aller rencontrer les personnes, discuter et échanger sur les sujets qui nous intéressent, afin d’élargir ses connaissances et ses compétences. On est plus fort ensemble, il faut donc écouter, s’ouvrir, partager, se former et collaborer avec l’ensemble des acteurs afin de pouvoir agir efficacement contre le pillage archéologique et le trafic illicite des biens culturels ainsi que pour protéger le patrimoine de l’humanité.

Propos recueillis par Camille Dolé, dirigeante de l’Agence Art’théna Investigations. 


[1] Sculptures de Libye et du Proche-Orient, lutter contre le trafic illicite des biens culturels » au Musée du Louvre de mai 2021 à février 2022, dont Vincent Michel était l’un des commissaires de l’exposition ; l’exposition « Passé volé : l’envers du trésor » au Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye du 26 mai au 29 août 2022 ; l’exposition « Trésors du fond des mers un patrimoine archéologique en danger » au Musée départemental Arles antique du 22 octobre 2022 au 20 février 2023 ainsi qu’actuellement l’exposition « Trésors coupables : pillages archéologiques en France et dans le bassin méditerranéen, au musée d’Histoire de Marseille depuis décembre 2022 jusqu’au 12 novembre 2023 ».

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