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La notion de bien culturel

La notion de biens culturels parait simple à première vue. Mais il s’avère en réalité que beaucoup de litiges sont nés, et ce depuis de nombreuses années, sur cette définition même. La plus célèbre remonte à l’année 1928, lors du procès Brancusi contre États-Unis. Il s’agissait d’une pièce de métal jaune, réalisée par Mr. Brancusi, dont l’utilité laissait perplexe les autorités américaines. Lors d’un transfert avec d’autres pièces de ce genre à l’occasion d’une exposition devant se dérouler à New York, la cargaison de l’artiste fût interceptée à la frontière américaine, et il dû payer 40% de la valeur déclarée aux autorités de douane. Après avoir protesté, il eut l’autorisation de pénétrer sur le territoire à titre provisoire seulement, avec obligation de taxer les œuvres vendues à l’exposition lors de l’importation. Les œuvres de l’artiste ont donc été qualifiées d’objets manufacturés pour les autorités américaines, sujets à des taxes, plutôt que d’objets d’art. Après qu’un de ces amis eu été obligé de payer les 40% de la valeur du bien suite à l’achat d’une de ces œuvres, Brancusi, soutenu par son ami acquéreur et d’autres personnalités américaines, décida d’agir en justice[1]. La question de la nature de l’objet, soit en tant que bien manufacturé, soit en tant qu’œuvre d’art, en était le principal problème pour les juges. C’est le 26 novembre 1928 que les trois juges de la Cour des douanes américaine rendirent leur jugement : l’œuvre de Brancusi devait être considérée comme une œuvre d’art, et de ce fait, pouvait être importée aux États Unis définitivement sans aucun droit de douane à payer. Cette affaire fit apparaitre l’une des premières consécrations de la libre circulation d’objet d’art contemporains. Il s’agissait en réalité d’un revirement considérable opéré par la doctrine américaine, qui se bornait jusque-là à imposer le fait qu’une sculpture devait être figurative pour pouvoir être caractérisée d’œuvre d’art. Lors de ce procès, elle conclut donc son jugement de manière magistrale :

« Entre temps, une école d’art dite moderne s’est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte ».

La notion d’œuvre d’art et de biens culturels est en constante évolution, elle est relative dans le temps, car la société elle-même évolue. La difficulté réside dans le fait que les artistes sont en « décalage » avec la société actuelle. Dans l’antiquité, une œuvre d’art était caractérisée par sa beauté et son côté divin. L’esthétique est resté pendant plusieurs décennies comme le critère essentiel. Puis au XXème siècle, avec l’apparition de l’Art Moderne, l’art figuratif a perdu de son attractivité. L’exemple le plus marquant fût l’œuvre de Marcel Duchamp, la Fontaine, qui n’était qu’un simple urinoir industriel, exposé au « Salon des indépendants », à New York en 1917. Mais la notion d’œuvre d’art est aussi relative dans l’espace. Lors de l’affaire Brancusi, l’artiste était déjà un artiste reconnu en France, ce qui n’était pas le cas à l’étranger. Ses créations étaient reconnues comme œuvres d’art en France, contrairement aux Etats Unis ou d’autres pays, sans oublier les pays régis par des lois et des codes de conduite plus conservateurs, tels que par exemple les pays moins avancés (PMA).

Constantin Brancusi est l’un des plus influents sculpteurs du XXème siècle. Il a ouvert la voie à la sculpture surréaliste et abstraite. Ces œuvres ont fait beaucoup de polémique et ont suscitées de nombreuses critiques. Lors d’une exposition à New York en 1913, une de ses sculptures a été définie par un critique d’art comme étant « une descente d’égout accouplée à une cotte de maille ». Incongrue et peu sympathique

Enfin, la notion d’œuvre d’art est relative selon le domaine juridique. Certains pays ne protègent pas ou peu de tels biens, le cadre légal ne prenant pas, ou pas encore, en compte l’importance de protéger le patrimoine national. L’évolution importante qu’a pu connaitre la notion d’œuvre d’art, est notamment due grâce à l’UNESCO, lors de la convention de 1970 relative à l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels[2]. La notion de « biens culturels » apparait alors dans un cadre législatif, et s’élargit considérablement. Ils sont définis dans la convention comme étant les biens « désignés par chaque État qui, à titre religieux ou profane, présentent de l’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science ». Le terme de biens culturels est un terme générique, dans lequel on a les œuvres d’art, mais aussi les archives, les biens archéologiques, les livres, les trésors nationaux etc. qui bénéficient d’une protection importante et spécifique. Cette convention permet aux États de désigner les biens qu’ils souhaitent protéger plus particulièrement. La volonté de l’UNESCO en rédigeant cette convention était aussi d’inviter les États à coopérer. En effet, en raison de l’augmentation constante des vols et de la montée incessante du trafic illégal de biens culturels, la coopération des États et des institutions semble être un moyen d’agir.

La Convention d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés a aussi donné une définition de la notion de biens culturels, très similaire à celle de la convention de 1970. Mais elle n’offre pas la possibilité aux États de définir les biens culturels à protéger. Ce choix s’explique par le fait que la convention UNIDROIT est directement applicable et qu’elle est par conséquent intégrée en tant que telle dans le droit positif des États parties. Pour autant, peu d’États l’ont ratifiée, la France notamment.

L’Union Européenne a aussi décidé récemment d’établir une législation communautaire relative à la protection des biens culturels[3]. Dans ce règlement, elle a aussi rédigé une définition des biens culturels, qui s’applique donc à tous les États membres.



[1] Brancusi contre Etats-Unis, n°119–120.

[2] Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Paris, du 12 octobre au 14 novembre 1970 en sa seizième session, Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels

[3] Règlement (CE) n°116/2009 du 18 /12/2008

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